Fallen Angel Lain tome 1 : les enfants d'apparitions
par Fazia Salhi
Note aux lecteurs : Cette chronique dévoile certains ressorts essentiels de l’intrigue pour en analyser la mécanique. Si vous souhaitez préserver intacts les mystères d’Heavendale, je vous conseille de lire le roman avant de poursuivre.
Heavendale, 2992. Le nom sonnait comme une promesse, celle d'un « jardin d’Éden des temps modernes » où la technologie devait élever l'humanité. Mais sous la plume de Fazia Salhi, cette métropole futuriste n'est plus qu'un squelette de béton et de néons, une cité fantôme rongée par les « maladies du Wired », ces pathologies nées d'une trop grande proximité avec la machine. C'est dans ce décor de rouille et de désillusion que s'ouvre Fallen Angel Lain, un premier roman qui nous plonge sans ménagement dans les entrailles d'une société où le progrès a viré au cauchemar sanitaire et social.
Au cœur de ce marasme surgit Lain Ikari. Avec son apparence de « poupée de porcelaine » et sa chevelure noire, elle semble d'une fragilité trompeuse. Car Lain est une évadée, une survivante de l'Institut Nexus qui traîne derrière elle un passé de laboratoire et une force surhumaine capable de mettre au tapis une bande de voyous comme les Blue Dragons sans le moindre effort. Son embauche au Cyberstar, un établissement de loisirs dirigé par le colérique Vernon Saberhagun, ancre le récit fantastique dans une réalité sociale tangible, faite de petits boulots, de camaraderie avec des collègues hauts en couleur comme Faith ou Duhan, et de la lutte quotidienne pour subsister.
Mais Lain n'est pas seule à errer dans ce labyrinthe. Fazia Salhi tisse habilement une trame parallèle autour de Stan Howard, fils d'une riche famille industrielle, hanté par la mort de sa mère, Encia. Officiellement décédée dans un accident de voiture douze ans plus tôt, Encia est en réalité la clé de voûte d'un mystère qui dépasse l'entendement, lié au projet « Les enfants des Dieux ». La rencontre entre Lain et Stan ne relève pas du hasard romanesque, mais d'une collision nécessaire entre deux solitudes qui partagent, sans le savoir, le même traumatisme originel.
L'intrigue s'épaissit avec l'entrée en scène du capitaine Léo Sôn, figure d'intégrité dans une police dépassée. À travers son enquête sur l'affaire Burnt et l'attaque mystérieuse du Memorial Heaven par des soldats en noir, le roman emprunte aux codes du polar noir. Léo incarne la résistance de la justice face à l'opacité des multinationales qui, comme Söna, n'hésitent pas à déployer des « nettoyeurs » pour effacer toute trace de leurs expériences génétiques.
Cependant, l'ambition foisonnante de l'œuvre se heurte parfois à quelques écueils structurels. À mesure que l'on progresse vers le dernier tiers du roman, la multiplication des fils narratifs — la fuite du scientifique fou Xavier Williams, les manigances de Mc Neil et Nina Smith, la mutation du professeur Ethan Kayle — crée une densité qui peut par moments donner le vertige au lecteur. Le basculement du récit d'anticipation vers une horreur graphique marque une rupture de ton assez brutale.
Malgré ces réserves, Fallen Angel Lain possède un souffle indéniable et une sincérité qui emporte l'adhésion. C'est une œuvre sur la mémoire : celle qu'on nous vole, celle qu'on trafique, et celle qui, ultimement, nous sauve. Fazia Salhi signe ici un premier tome prometteur, qui pose les bases d'un univers riche où la technologie ne peut étouffer l'instinct de survie.