
Les mots sur les os
par Céline Marcot
Les mots sur les os de Céline Marcot s’imposent comme une empreinte, une brûlure laissée sur le lecteur. On le lit comme on entrouvre une plaie : avec crainte, mais aussi avec la certitude que la vérité, parfois douloureuse, est nécessaire. Ce livre n’est pas un roman, ni un traité clinique, mais un témoignage incarné, écrit au scalpel, sur l’expérience intime de l’anorexie.
Céline Marcot ne décrit pas seulement une maladie, elle lui donne un visage, une voix, presque une personnalité. L’anorexie devient ici une interlocutrice perfide, amie toxique qui vampirise la vie tout en donnant l’illusion du contrôle. L’autrice réussit à transmettre l’ambivalence fondamentale : on hait ce démon intérieur, mais on s’y accroche parce qu’il sécurise, il structure, il rassure. Ce paradoxe, elle le déploie avec une sincérité désarmante, sans filtre et sans complaisance.
La force de l’ouvrage réside dans son écriture. On y trouve un rythme qui oscille entre fulgurances poétiques et sécheresse comptable. Les phrases se répètent, les obsessions se ressassent, comme un miroir du quotidien anorexique. Certains lecteurs pourront se sentir épuisés par cette spirale, mais cet épuisement est la preuve que le texte atteint son but : faire ressentir de l’intérieur la mécanique infernale de la maladie. Par moments, on lit avec un nœud dans la gorge ; à d’autres, une clarté inattendue nous bouleverse, tant l’autrice sait transformer sa fragilité en lucidité.
Le récit prend une profondeur particulière lorsqu’il s’ouvre à la dimension spirituelle. Loin de proposer une solution miracle, la foi devient un horizon, une lumière ténue mais constante dans la nuit. Là encore, Céline Marcot ne tombe pas dans l’angélisme : la douleur persiste, les rechutes sont là. Mais la foi, comme l’écriture, agit en soutien invisible, en respiration. Cela donne au texte une portée universelle : on n’y lit pas seulement un combat contre la maladie, mais une quête d’humanité et de sens.
Tout n’est pas parfait : la densité du propos, l’absence de structure narrative traditionnelle, les répétitions, peuvent parfois fatiguer. Mais ces « défauts » sont aussi la marque de l’authenticité du récit. Ils rappellent qu’on ne sort pas indemne d’une telle expérience, et qu’il serait artificiel de la lisser pour le confort du lecteur.
Au bout du compte, Les mots sur les os est un livre nécessaire. Parce qu’il lève le voile sur une souffrance encore mal comprise, parce qu’il refuse le silence et la honte, et surtout parce qu’il montre qu’on peut écrire à partir de la faille. Ce texte n’est pas qu’un cri : c’est une main tendue, une preuve que la littérature peut suturer, qu’elle peut réchauffer même les os les plus nus.
À la fois dur et lumineux, brutal et tendre, le livre de Céline Marcot n’est pas une lecture facile. Mais il est de ces livres qu’on referme avec un sentiment de reconnaissance : celle d’avoir été convié à partager, l’espace d’un instant, le combat d’une vie.