
Sapiens
par Yuval Noah Harari
Certains livres se lisent comme des récits, d’autres comme des manifestes. Sapiens est les deux à la fois. Harari y déroule l’histoire de notre espèce avec une audace qui donne le vertige, comme si l’on observait l’humanité depuis la stratosphère. Le résultat est à la fois limpide et brutal : notre règne n’a rien d’une évidence naturelle, mais tout d’une construction fragile, bâtie sur des mythes partagés, des récits que nous avons choisis d’habiter.
Ce qui frappe d’abord, c’est la simplicité avec laquelle il met en lumière l’illusion de la “réalité objective” de nos sociétés. L’argent, les États, les religions, les droits humains même — tout cela ne repose pas sur des vérités matérielles, mais sur des fictions collectives auxquelles nous avons consenti. Cette lucidité a quelque chose de dérangeant : soudain, le sol sous nos pieds semble moins solide, et chaque certitude se révèle pour ce qu’elle est, une croyance habillée de rationalité.
Mais Sapiens n’est pas qu’une démonstration intellectuelle. C’est aussi un miroir tendu à notre époque. Harari ne se contente pas de raconter le passé : il met en relief les conséquences de nos inventions — la révolution agricole, la domestication des animaux, la révolution scientifique — et pose une question obsédante : où cela nous mène-t-il? Derrière le récit se devine une inquiétude sourde, presque existentielle, sur ce que nous sommes en train de devenir à force de chercher à tout maîtriser.
La lecture laisse un goût paradoxal. D’un côté, une admiration pour la clarté du propos, cette capacité à relier les points en un tout cohérent, presque élégiaque. De l’autre, un malaise, car une fois la lecture achevée, impossible de regarder le monde de la même manière. On se surprend à douter des institutions, des systèmes économiques, même de nos rêves personnels. Harari réussit à transformer une fresque historique en acte de déconstruction intime.
Au fond, Sapiens ne donne pas de réponses définitives. Il ouvre plutôt un espace de vertige, un silence intérieur où résonne une seule question : que voulons-nous croire, et à quel prix?